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Nouvelles d’Ukraine

12 Fév 2013
Nouvelles d'Ukraine

Nouvelles d’Ukraine, éditions Magellan & Cie, 2012.

La collection Miniatures de Magellan & Cie a pris une bonne initiative de partager les nouvelles de six écrivains ukrainiens contemporains, traduites par Iryna Dmytrychyn (sauf celles de Kourkov et de Prokhasko). La littérature est en pleine expansion en Ukraine et hors de ses frontières. On la voit se libérer de ses chaînes, attaches, bâillons et réclamer son indépendance et son expression libre, en osmose avec son passé. Evidemment, il n’est point facile de la présenter en 150 pages, mais il faut espérer que ce n’est qu’un début. Les auteurs sélectionnés présentent l’Ukraine de l’Ouest à l’Est, mettent en valeur les traditions et ne négligent pas le moderne.

• Andreï Kourkov Du point de vue d’un brin d’herbe, traduit par Nastasia Dahuron et Yvelines Dulière.

«Du point de vue d’un brin d’herbe, le meilleur commence au printemps et s’achève à l’automne, juste avant les premières neiges».

En Ukraine, la nouvelle est apparue en 2000 dans le recueil Une subtile mathématique de passion. Avec son style accessible, intrigant et surréaliste des fois, Kourkov nous décrit cette histoire du point de vue de la nature qui règne sur la vie, la dirige. Olga, une femme d’un certain âge, mariée, sans enfants, déteste rompre son quotidien tranquille de paysanne, même pour aller à Kyïv, si proche, et consulter un médecin qui pourrait peut-être l’aider à avoir des enfants. Olga supporte de moins en moins son mari Fiodor qui passe ses journées à la rivière pour pêcher le poisson et le faire sécher ensuite. L’odeur du poisson séché et salé est devenue insupportable pour Olga. Mais les changements, elle les attend sans aucun effort de sa part, un trait de caractère qui différencie un nombre considérable d’Ukrainiens de ce même nombre de Français. Et pourtant, une journée froide d’automne offre à Olga une arme sûre pour vaincre sa routine. Juste avant les premières neiges.

Kourkov est un vrai maître du genre de récit court : phrases laconiques, perçantes, choix de mots réfléchi, le lecteur se croit presque se transformer en ce petit brin d’herbe…

A lire aussi Le Jardinier d’Otchakov

• Oksana Zabouzhko Prof de tennis.

C’est la première traduction en français de cette philosophe, écrivain, poète, publiciste ukrainienne née à Loutsk, à l’Ouest de l’Ukraine en 1960. Oksana Zabouzhko a enseigné à l’Université d’État de Pennsylvanie, à Harvard et à l’Université de Pittsburgh. Elle est surtout connue pour son premier roman L’enquête de terrain sur le sexe ukrainien, un livre féministe, ce qui est assez rare en Ukraine. Mais ses œuvres se caractérisent aussi par une identité nationale et la critique du post-colonialisme.

Prof de tennis a été publié en 2003 en Ukraine dans le recueil Sœur, ma sœur. Zabouzhko nous présente son héroïne, une journaliste, qui prend des cours de tennis à la demande de son mari. Oleg aimerait voir sa femme l’accompagner comme sparring-partner. Marta avoue que le sport n’est pas sa tasse de thé, Oleg le sait aussi, mais il doit arriver à l’âge où il faut se montrer homme et fort. « Mais, soit, je n’ai rien contre. Sans regrets. C’est un système de compromis négociés, comme un mouvement d’engrenage, inéluctable et inévitable, pour avoir un homme pour autre chose que pour le lit… » La signature féministe de Zabouzhko est légère, humoristique. La journaliste est cette femme intelligente qui laisse croire que c’est le mari qui décide. C’est la femme qui est obligée de se battre pour prouver en écrivant, en se mariant, en prenant des cours de sport. Mais une fois la technique discernée, la femme triomphe. Son homme va payer pour son orgueil, des hommes vont tomber sous son charme, son travail sera récompensé.

• Yuriy Androukhovytch Drohobytch.

Publié en 2011 dans Lexique des villes intimes (111 villes du monde avec les aventures que l’auteur y lie), Drohobytch ne peut pas me laisser indifférente, car j’y ai passé mes cinq ans d’études supérieures et j’y associe mes souvenirs (que je garderai pour moi pour l’instant).
Androukhovytch cependant parle plutôt de Drohobytch du XIXe-XXe siècle, l’époque du pétrole et du sel qui a enrichi la ville. La ville est aussi indissociable du nom de Bruno Schulz, né à Drohobytch, écrivain et peintre « Polonais par sa langue et Juif par son sang ». La parallèle se dessine entre la population de cette ville de Galicie, composée, en ordre décroissant, de Juifs, Ukrainiens et Polonais à la naissance de Schulz, ce Kafka ukrainien. Dans ses oeuvres, l’écrivain imaginait une ville fantaisiste de rêves d’enfant et elle était bien meilleure que celle où il s’est trouvé gisant au centre-ville tué par une balle nazie. La complexité de l’écrivain et de la ville gardent ce voile de mystère racontée par Androukhovytch pas moins sibyllin.

A lire aussi Douze cercles d’Y.Androukhovytch

• Taras Prokhasko C’est ainsi, traduit par Oles Pliouchtch.

Taras Prokhasko est né en 1968 à Ivano-Frankivsk, a fait les études de biologie qui est omniprésente depuis dans ses livres.
C’est ainsi (БотакЄ) a été publié en 2011 en Ukraine. C’est l’histoire d’un homme né dans les Carpates et entouré de la nature, le fils et le petit-fils qui découvre sa généalogie multinationale, le père qui en est fier et ne regrette pas son sang « mélangé et fantasque ». Le regret n’a pas de place là où l’histoire et les traditions sont présentes. Et toute cette Europe imaginée pourra bien apparaître dans les rêves et c’est ainsi…

• Serhiy Jadan Atlas des routes d’Ukraine.

La nouvelle fait partie du recueil Big Mac2 publié en 2006 par Serhiy Jadan (né en 1974 à Louhansk à l’Est de l’Ukraine), écrivain, poète, traducteur, organisateur de festivals littéraires, concerts etc.

C’est l’Ukraine orientale avec ses mines et usines abandonnées et mortes que suit son héros, accompagné d’un photographe autrichien. Proche des écrivains de la beat génération et de Jack Kerouack, Serhiy Jadan est un « routard » de l’Ukraine de l’Est, de Donbass. Malgré le noir et blanc des sites sans vie, la route inspire un certain ordre et représente le mouvement. C’est l’opposition entre ce mouvement et la stagnation qui charme autant d’Européens.

• Maria Matios Apocalypse

Maria Matios est née en 1959 dans le village de Roztoky de la région de Tchernivtsi à l’Ouest de l’Ukraine dans la famille des Houtsouls. Elle a reçu le Prix national Taras Chevtchenko pour son roman Daroussia la douce. En 2012, elle a participé aux Littératures Européennes à Cognac en partageant son amour culinaire et littéraire avec les Français.

Apocalypse est une des six nouvelles du cycle Nation paru en Ukraine en 2006. Apocalypse clôture notre recueil sur une note patriotique et multinationale, historique, avec son Résistance, triste, avec ce destin tragique de femme, d’homme, d’amour et de Destin. A travers l’histoire d’Esther, Matios nous décrit cette femme qui fait naître la nation. Une femme forte, faible, déchirée entre l’envie d’être heureuse et respectée, altruiste, seule, qui lutte pour préserver et partager ses traditions, rester fière et digne devant ce monde composé de gens avides d’histoires à raconter entre les voisins.

Maria Matios nous offre un vrai « petit » chef-d’œuvre, une nouvelle digne de ce nom.