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Andreï Kourkov, Le Jardinier d’Otchakov

18 Déc 2012
Kourkov, Le jardinier d'Otchakov

« Le passé change de taille en fonction de qui cherche à l’endosser »

Andreï Kourkov, célèbre écrivain ukrainien de langue russe, né en Russie, mais vit à Kyïv depuis son enfance. Avec Le jardinier d’Otchakov Andreï Kourkov a remporté récemment le Prix des lecteurs lors des Littératures européennes à Cognac où l’Ukraine a eu la place de l’invité d’honneur (http://www.jaime-lukraine.fr/aime/litteratures-europeennes-cognac-lukraine-a-la-page).

Kourkov, écrivain ukrainien contemporainLe jardinier d’Otchakov est le septième roman à paraître en France. Certes, Kourkov porte un œil critique sur la société ukrainienne, mais il reste fidèle à sa plume légère, sans provocation, un mélange de fiction et de réalité, y ajoutant un peu d’humour. Le livre se lit facilement, mais est-ce qu’il marquera nos esprits ?

Kourkov introduit son héros principal, Igor Vozny, dès la première page. C’est un jeune homme de 30 ans qui passe ses journées tranquilles à Irpen, proche banlieue kyïvienne. Il y vit avec sa mère en profitant de leur petite rente de l’appartement vendu à la capitale auparavant. Igor n’a jamais travaillé, peut-être à cause d’un traumatisme crânien qu’il a eu en étant petit, mais plutôt parce que ça l’arrange de profiter des indemnités sans aucun effort et d’être chouchoté par sa maman, de rester passif comme une partie assez signifiante de ses compatriotes.

Le personnage de Stepan nous intrigue dès son apparition : jardinier mystère, homme à tout faire, il est logé dans la remise de la maison des Vozny. Son tatouage presque effacé bouleverse la vie monotone d’Igor (« Otchakov 1957. Chez Efim Tchaguine ») et les deux hommes partent à Otchakov, au bord de la mer Noire. Là, ils découvrent un petit trésor constitué de bijoux, diamants, liasses de billets d’époque et d’un uniforme de milicien. La vie de deux hommes change : Stepan peut enfin s’acheter une belle maison après avoir vendu les bijoux, Igor peut profiter des ses anciens billets de banque…

Kourkov a inventé sa machine à remonter le temps, l’uniforme de milicien des années 50 du siècle dernier. Igor réalise qu’en endossant ce costume, il atterrit à Otchakov en 1957 et vit une sorte de l’Histoire sans fin. Lui, qui ignorait l’histoire de son pays, commence à s’habituer peu à peu à cette vie où les gens manquent du confort moderne, mais où on retrouve le goût de vivre, le goût des aliments, le goût d’une passion envers une femme… « Quand on se sent aussi à l’aise dans un costume, on vient vite à s’y conformer intérieurement». Igor est devenu ce milicien honnête dont l’URSS était jadis fier. Il retrouve Efim Tchaguine, essaye de résoudre une affaire criminelle, essaye d’aider le petit voleur et sa mère qui l’hébergent lors de ses visites dans le passé. Il trouve les médicaments pour Valia la Rousse, marchande de poisson, pour laquelle il éprouve des sentiments controversés : passion, respect, compassion.

Mais Kourkov n’est pas nostalgique de la « belle » époque de l’URSS, Igor avoue à son ami Kolian : « Notre pays est passionnant, notre époque est passionnante, nous sommes passionnants ! ». L’auteur kyïvien connaît bien sa capitale et permet au lecteur d’y voyager avec Igor en train, en « marchroutka » (« minibus » dans le texte, mais la « marchroutka » est plus qu’un simple minibus, c’est un transport devenu «national », bondé en heures de pointe et presque vide ensuite, le chauffeur décidant ainsi des horaires de départ) ; mais aussi au bord du vieux tramway lors du voyage à Lviv. Voyage dans le passé et dans le présent…

La morale du Jardinier d’Otchakov apparaît vers la fin du roman quand Igor découvre le manuscrit écrit par le père de Stepan, qui, à travers la critique de la nourriture des cantines soviétiques, analyse la société. « Les êtres humains […] se partagent en deux catégories : les jardiniers et les forestiers. Les jardiniers conçoivent initialement le monde comme un jardin dans lequel il convient de se comporter de manière appropriée, de relever ce qui est ruiné [… ] Les forestiers [ …] aiment tout ce qui est sauvage, et sont plus aptes à détruire […] Les forestiers sont plus brutaux, physiquement plus forts et plus endurants ». Le lecteur réalise enfin l’identité du jardinier d’Otchakov. Le roman prend plus d’ampleur, mais malheureusement, il est déjà terminé 🙂 …