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Marko Vovtchok et son œuvre en France

11 Juil 2013
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Remerciements particuliers à notre auteur invité Michel

Maroussia, œuvre ukrainienne de Marko Vovtchok réécrite en France

« Il s’agit du Pays entier. Nous autres, nous ne sommes ni pour les Moscovites, ni pour les Polonais – Nous sommes pour les Ukrainiens et pas pour les maîtres mais pour le peuple. » MarkoVovtchok, Maroussia
Dessin par Ludmila Bigitch

Qui en France se souvient de Marko Vovtchok ?
En 1871, à Saint-Pétersbourg on peut lire Maroussia, une œuvre engagée condamnant l’occupation russe en Petite Russie (l’Ukraine). Déjà, en 1859, L’Etudiante du même auteur dénonçait le sort de la femme serve. Les deux personnages éponymes sont ainsi des femmes dont la condition est plus douloureuse encore que celle des hommes. On comprend mieux ce choix de l’écrivain quand on sait les difficultés de publier un roman même si l’on est connu. L’auteure est Mariya mais son nom d’épouse, Markovitcha, deviendra Marko Vovtchok, lequel lui permet de diffuser ses œuvres dans ce contexte misogyne. La difficulté se double du choix linguistique car pendant sept années elle a vécu à Tchernihiv, puis à Kyїv. Elle rédige donc Maroussia en ukrainien, mais c’est la traduction russe qui rendra le livre populaire. Là débute pourtant l’étrange devenir du roman.

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Première de couverture du roman destiné aux enfants

Mariya Markovitcha vient en France (1859 — 1867) ; elle apprend la langue et rencontre Jules Verne et Stahl-Hetzel, l’éditeur de tous les grands noms de la littérature du dix-neuvième siècle. Ici, il faut faire état de la remarquable analyse d’Iryna Dmytrychyn sur le plagiat de Maroussia par Stahl. La traductrice précise que c’est Tourgueniev lui-même qui a présenté l’auteure à l’éditeur mais ce dernier fait l’œuvre sienne en la remaniant. La petite Maroussia reste une fillette ukrainienne, amie des Cosaques qui veulent libérer le pays écartelé entre les emprises polonaises et russes, mais l’histoire française devient une longue fable. Derrière l’Ukraine, il faut lire l’Alsace et la Lorraine envahie par la Prusse ; derrière Maroussia, il faut voir une petite Alsacienne. Iryna Dmytrychyn nous précise que Tourgueniev s’insurge contre ce plagiat. Quelques années plus tard, les rééditions feront amende honorable et Stahl rendra honneur à « Markowovzok ».

« Il est malheureusement plus d’une Ukraine au monde ; veuille Dieu que, dans tous les pays que la force a soumis au joug de l’étranger, il naisse beaucoup de Maroussia capables de vivre et de mourir comme la petite Maroussia. » Stahl, Maroussia
Dernière gravure du roman

Au-delà des polémiques littéraires, Maroussia malgré une langue un peu surannée et mélodramatique est une grande œuvre. Mariya Markovitcha a écrit un récit militant. Certes on a utilisé l’allégorie de la fillette comme œuvre de propagande, mais le fait que ce soit une femme qui mette en avant une enfant qui agit et pense comme une femme est signifiant. On a voulu à tort transformer ce texte en littérature de jeunesse ; les enjeux sont bien plus grands. La dernière gravure de Stahl est intéressante de ce point de vue. La première édition illustrée fait de Maroussia une statue de la liberté, le bras droit levé indiquant la direction du devoir moral.

Femme-personnage comme Maroussia, fille d’Ukraine campée par Marko Vovtchok pour être l’emblème de l’engagement ou femmes de sang telles Rigoberta Menchú ou Aung San Suu Kyi, l’objectif est le même : vouloir la justice sociale, revendiquer le droit à la liberté et faire respecter les valeurs ethno-culturelles. Maroussia est à ce titre une œuvre d’actualité.

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Utilisation de Maroussia, textes ukrainiens et français présentés par Iryna Dmytrychyn, éditions L’Harmattan, Présence ukrainienne.
Images : 
terresdefemmes.blogs.com
divczata.org/marko-vovchok-marusya-05.html
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